A la mémoire de Julie et Bertrand Guillendou

La vallée de Mareuil (ruisseau du Tournefeuille) et l’ancrage séculaire de la famille Guillando

Au cœur du Quercy, la vallée de Mareuil forme un territoire à la fois discret et riche d’histoire. Elle s’étend autour de l’ancienne paroisse de Lamothe-Massaut, englobant de nombreux masages, moulins et tènements qui forment un maillage foncier et humain dense dès la fin du Moyen Âge. C’est dans cette vallée que l’on retrouve, dès 1482, les premières mentions de la famille Guilhaudou/Guilhando/Guillendo, attestant de son ancienneté et de son encrage durable.

Le 10 mars 1482, Robert Guilhaudou de Mareuil signe un acte d’emphytéose en faveur de Pons Ebrard, seigneur de Cohnac, et de Jean de Salignac, pour un tènement situé au lieu-dit del Fayas (Bulletin de la SEL, Tome 83, 1962). Ce document fait de lui l’un des plus anciens représentants identifiés de ce lignage. Puis, au XVIe siècle, les archives révèlent une série de figures familières :

  • Jehan Guillendo (1530), cédant des parts de moulin à Mareuil (Tome 84, 1963),
  • Jehan Guilhando, père de Bonita Guilhando, dotée richement pour son mariage en 1539,
  • Denis Guilhandou, prêtre en 1559,
  • Jehan Guilhaudou dit Magouhu, cité en 1573 dans une liste de notables,
  • Pierre Guillaudou, prêtre en 1592,
  • Marie Guilhendou, épouse de Jehan Espitallier en 1595.

Ces mentions, toutes issues du Tome 84 (1963), dessinent une lignée profondément enracinée dans les fonctions religieuses, foncières et familiales de Mareuil. Les variantes orthographiques du patronyme confirment sa persistance malgré les évolutions linguistiques.

Parallèlement, les registres topographiques du même bulletin indiquent qu’en 1574, le village de La Lauvie, situé dans la même paroisse de Lamothe-Massaut, est explicitement cité aux côtés de Labrunie et Meytoyier comme un masage reconnu (Tome 84, 1963). Ce lieu sera plusieurs siècles plus tard le foyer de la branche Guillendou.

La branche Guillendou de La Lauvie (XVIIe–XIXe siècle)

Cette famille ancienne se prolonge au fil des siècles sous la forme stabilisée Guillendou, que l’on retrouve dans la généalogie suivante :

  • Pierre Guillendou (né vers 1670 – décédé 1740), praticien (père de Arnaud Guillendou)
  • Arnaud Guillendou (1698–1770), bourgeois, marié à Françoise Lacombe (parents de Géraud Guillendou)
  • Géraud Guillendou (1729–…), marié à Margueritte Garrigue (parents de Pierre Guillendou)
  • Pierre Guillendou, marié à Marie Vergne (parents de julie et bertrand)
  • Julie (1794–1878) et Bertrand Guillendou (1802–…), dont le fils Bertrand meurt jeune et Amélie Guillendou épouse Victor Pouzol de Lile.
  • Amélie meurt le 25 janvier 1900, sans avoir habité La Lauvie après son mariage.

Les dernières porteuses du nom Guillendou à La Lauvie sont Julie et Marie, marquant ainsi la fin visible de cette lignée dans ce hameau.

Le rôle social de la famille Guillendou dans la vallée

1. Une lignée ancienne et enracinée
Depuis 1482, la famille Guillandou/Guillendou apparaît régulièrement dans les archives locales, implantée autour de Mareuil et La Lauvie. Cette continuité sur plus de 400 ans témoigne d’un ancrage territorial fort, transmis de génération en génération.

2. Une absence de noblesse, mais une reconnaissance locale
Aucun titre de noblesse n’est associé à la famille. Pourtant, ses membres occupent des fonctions variées – prêtre, praticien, bourgeois, exploitant – et participent activement à la vie économique et sociale du territoire. Cela les place dans une catégorie que l’on peut désigner comme notables ruraux..

3. Une bourgeoisie rurale discrète mais influente
Certains membres sont qualifiés de bourgeois ou praticiens dès le XVIIe siècle, ce qui implique une instruction, une stabilité économique et une reconnaissance locale. Le terme « gentilhommière » associé à La Lauvie sur la carte de Cassini renforce l’idée d’un certain prestige foncier.

4. Un rôle structurant dans la communauté
Par leur présence dans les archives religieuses, notariales et foncières, ils apparaissent comme des acteurs pivots de la communauté locale. Ils assurent une continuité sociale, transmettent les savoirs, et participent à la régulation des ressources (moulins, terres).

5. Une figure type : le notable rural éclairé
La famille Guillendou incarne le modèle de la petite notabilité paysanne, cultivée, enracinée, et respectée, sans pour autant aspirer à l’aristocratie. Elle illustre une mobilité sociale douce, fondée sur la terre, la transmission, et l’insertion dans les réseaux locaux.

Le sabre et Bertrand Guillendou

Il est tentant de voir dans le sabre scellé à l’entrée de la chapelle de La Lauvie un fragment discret mais saisissant de la vie de Bertrand Guillendou, né en 1802. Issu d’une lignée solidement enracinée dans le Quercy depuis la fin du Moyen Âge, Bertrand grandit au cœur d’un domaine structuré, dont les archives départementales de la Dordogne révèlent qu’il faisait vivre au domaine de la lauvie une quinzaine de domestiques, de métayers et de servants. Ce n’était pas une simple gentilhommière, mais un véritable domaine agricole, dirigé par une famille locale exerçant une autorité certaine, bien que sans titre nobiliaire.

Appartenant à cette bourgeoisie terrienne instruite, Bertrand Guillendou atteint l’âge adulte au moment même où la France se reconstruit dans l’après-Napoléon, sous la Restauration. En 1822, à vingt ans, il est parfaitement en âge de rejoindre une structure de défense civile telle que la Garde nationale, dans laquelle des notables locaux exercent volontiers des responsabilités. Le sabre retrouvé à La Lauvie appartient précisément à cette époque : un modèle 1822, caractérisé par sa monture en laiton et sa lame courbe, orné de motifs néo-classiques — faisceau de licteur, branches de laurier, casque antique — autant de symboles empruntés à l’imaginaire de la Rome républicaine, très en vogue dans la France postrévolutionnaire.

Ce type de sabre, par son esthétique, ne renvoie pas aux violences de la Révolution de 1793, mais plutôt à un idéal républicain modéré, porté par les milices bourgeoises sous la Monarchie de Juillet ou, plus tard, sous la IIIᵉ République. Il évoque un engagement civique, une idée du service public mêlant autorité, responsabilité et mémoire historique. Bertrand, en tant que propriétaire d’un domaine actif, figure respectée dans la société rurale, aurait pu recevoir ou porter cette arme dans ce cadre. Le sabre devient alors le signe d’un rôle assumé dans la stabilité d’un monde en transition, celui des campagnes françaises du XIXᵉ siècle.

Scellé dans la pierre de la chapelle familiale, le sabre ne fut pas exhibé comme un trophée, mais placé avec retenue à l’entrée du sanctuaire. Ce geste suggère non la gloire, mais le renoncement : un vœu, une reconnaissance silencieuse, peut-être l’abandon volontaire d’un instrument de pouvoir au seuil d’un lieu sacré. Geste de foi, de transmission ou de mémoire intime, ce dépôt transforme l’arme en ex-voto. Il relie la vie d’un homme à celle d’un lieu, marquant le passage du temps, des engagements terrestres vers la paix intérieure.

Longtemps attribué par la tradition orale à un réfugié de la Révolution, le sabre de La Lauvie révèle, à la lumière des faits, une histoire tout aussi profonde : celle d’un homme enraciné, ayant traversé les bouleversements d’un siècle, et qui laisse derrière lui non un cri d’héroïsme, mais un signe muet de conscience et d’appartenance. En ce sens, le sabre devient l’écho tangible d’un lien entre un territoire, une mémoire familiale, et la grande histoire qui s’y est déposée.

Julie Guillendou

Parmi les figures majeures de La Lauvie au XIXᵉ siècle, Julie Guillendou s’impose avec une force tranquille mais indéniable. Née en 1794, sœur aînée de Bertrand, elle choisit de rester toute sa vie sur le domaine familial, sans jamais se marier, sans enfants, mais sans jamais non plus se retirer ni s’effacer. Elle y vivra 84 ans, dont vingt après la mort de son frère, assumant avec sa belle sœur la continuité d’un lieu qu’elle n’a jamais quitté. Dans les registres, elle n’est pas désignée par un lien conjugal ou filial, mais nommée cheffe propriétaire — une reconnaissance rare, puissante, dans un monde où la place des femmes se définissait presque toujours à travers les hommes.

Julie ne se contente pas d’habiter La Lauvie : elle l’habite pleinement. Elle cohabite un temps avec son frère et sa belle-sœur Marie Florentin, dans une organisation familiale où chacun semble avoir sa place. Bertrand dirige peut-être le fonctionnement du domaine, mais Julie en incarne l’âme. Elle veille, coordonne, représente. Présente au quotidien auprès des métayers, des domestiques, des affaires de la maison et des saisons, elle devient l’axe autour duquel tout continue de tourner. Elle n’est pas une figure de retrait mais de responsabilité. Et c’est peut-être cette constance, cette autorité naturelle, ce refus des compromis sociaux, qui lui ont valu d’être reconnue par les siens et par les documents officiels comme maîtresse légitime de son domaine.

Elle est aussi une femme de son temps. Le XIXᵉ siècle est celui où George Sand écrit, publie, bouleverse les représentations. Et il n’est pas absurde d’imaginer Julie, dans le calme du soir ou les hivers plus longs, penchée sur les pages de La Mare au Diable ou Consuelo. Sand écrivait sur les femmes fortes, les paysannes libres, les solitudes choisies. Ces récits ont sans doute touché Julie. Car même sans quitter La Lauvie, elle appartenait, elle aussi, à cette génération de femmes qui, sans tumulte, ont inventé leur propre manière d’exister — à rebours des attentes, mais en accord avec elles-mêmes.

Julie Guillendou n’est pas une héroïne de roman, elle est plus rare encore : une femme réelle, enracinée, qui a exercé sa liberté sans bruit, mais sans concession. Ni épouse, ni mère, ni servante, elle fut une figure d’équilibre, de mémoire, d’autorité. Elle n’avait pas besoin d’écrire pour exister : sa vie même était un texte affirmé. Et aujourd’hui encore, son nom, resté intact, résonne comme un manifeste d’indépendance féminine au cœur d’un monde rural qui, lui aussi, portait ses élans d’émancipation.