La Lauvie, 450 ans d’histoire rurale
Perchée dans les reliefs discrets du Quercy, La Lauvie s’inscrit dans une histoire ancienne, bien que discrète. Aucune trace évidente d’une construction médiévale ne subsiste, mais les archives lotoises attestent l’existence du lieu dès la seconde moitié du XVIe siècle (1574), mentionné comme masage — un terme désignant un petit hameau ou un ensemble agricole structuré, rattaché à la paroisse de Lamothe-Massaut.
L’architecture de la demeure principale se distingue par une sobriété marquée. Une fenêtre d’angle, typique de la Renaissance, attire l’attention. Si elle pourrait être une adjonction postérieure, sa présence à un point stratégique — à la croisée des chemins menant à la propriété — semble répondre davantage à une logique utilitaire qu’à une volonté décorative. Plus qu’un effet de mode, elle marque une attention portée à la lumière, à la surveillance et à l’organisation du territoire environnant. Ce choix architectural, comme le reste du bâti, révèle une élégance discrète : pas de sculptures monumentales, pas de démonstration ostentatoire. L’intérieur, quant à lui, conserve les traces d’enduits peints en jaune, bleu ou en faux marbre, que la restauration actuelle prévoit de restituer avec soin.
Une gravure de 1639 représente la maison principale surmontée, semble-t-il, d’un toit en lauze — une hypothèse plausible mais sujette à débat parmi les spécialistes. Ce type de couverture, lourd et complexe à poser, nécessitait une charpente solide et un savoir-faire artisanal. Associé à la présence d’un pigeonnier, il laisse entrevoir un certain niveau de richesse et d’organisation. Ces éléments n’indiquent pas nécessairement une appartenance à la noblesse, mais plutôt une place centrale dans la communauté locale, avec des droits et des ressources significatifs.
Dès cette époque, La Lauvie ne se limitait pas à l’habitat : elle disposait également d’un moulin, situé en contrebas le long du ruisseau de Tournefeuille. Le Moulin de La Lauvie, mentionné sur la carte de Belleyme, assurait la transformation des céréales cultivées sur les terres alentours, complétant ainsi le cycle économique local.
C’est dans ce contexte que la famille Guillendou (ou Guilhando dans certaines variantes anciennes) marque durablement La Lauvie. Présente pendant plus de deux siècles, cette lignée incarne le modèle du propriétaire terrien éclairé. Selon les périodes et les actes retrouvés, ses membres sont tour à tour laboureurs, marchands, cultivateurs ou bourgeois. Ils possèdent les terres, savent lire, écrire, et tiennent une comptabilité — des compétences rares en milieu rural à l’époque.
En 1840, Bertrand Guillendou fait graver ses initiales à l’entrée de la demeure. Il modernise l’agriculture du domaine en diversifiant les cultures : froment (semé début octobre), maïs (fin avril, dans la vallée de Tournefeuille), seigle (destiné notamment à la fabrication de pain), pommes de terre, chanvre, vignes — notamment le cépage prunelas cultivé sur les pentes du Pech des Combes Noires — ainsi que des noyers, utilisés pour la production de noix et de sabots. Il adopte les innovations de son temps, notamment les attelages modernes, pour améliorer la productivité.
Autour de la maison gravite une petite société rurale : une quinzaine de domestiques, de servants et de métayers vivent et travaillent sur le domaine. Pour répondre à ces besoins, La Lauvie se dote progressivement de nouveaux bâtiments : un chai (où le temps de cuvée durait un mois), des puits maçonnés, des granges, des étables (accueillant sans doute chevaux, bœufs, moutons), des tours servant de bureaux, une chapelle, et plus tard une maison de gardien. Chaque construction prolonge une vision du travail agricole comme pilier d’une organisation stable et évolutive.
La famille naît, vit et meurt à La Lauvie. Les baptêmes et inhumations ont lieu à la chapelle de Guillemaut, située à moins de deux kilomètres, accessible par un chemin vicinal qui longe le ruisseau. La Chapelle de la Lauvie, intégrée à la demeure est un petit lieu qui permet la prière. Un détail intrigant subsiste encore aujourd’hui à l’entrée de cette chapelle : un sabre ancien, selon la mémoire locale identifié comme un sabre de Montmorency, est scellé dans le mur. La légende veut qu’un homme, pour avoir été caché à La Lauvie durant la période troublée de la Révolution, l’aurait laissé en remerciement, offrant ainsi un fragment d’histoire à la fois mystérieux et profondément humain.
Les dernières descendantes directes de cette lignée, Julie Guillendou (née à La Lauvie et y ayant vécu 84 ans) et Marie Florentin, épouse de Bertrand, s’éteignent respectivement en 1878 et 1880. Elles furent sans doute les dernières à incarner la mémoire vivante de ce que fut La Lauvie au temps de sa splendeur rurale.
Au XXe siècle, plusieurs familles se succèdent sur le site — Brugère, Lalande, Vizy ?, Huschler… Mais face à l’ampleur du bâti et à la transformation des modes de vie, l’entretien devient difficile. L’usage agricole se perd, les dépendances perdent leur fonction, et les restaurations — parfois improvisées, parfois faites avec des matériaux peu adaptés — altèrent l’harmonie d’ensemble. Les constructions, autrefois pensées pour répondre à un mode de vie, deviennent lourdes à porter dans un monde qui change.
Aujourd’hui, la famille d’Arco entreprend de redonner souffle et cohérence à ce lieu habité par l’histoire. La restauration s’inscrit dans une volonté de transmission, attentive à la mémoire des gestes, des matériaux et des usages. La Lauvie n’est pas un décor figé : c’est un témoignage vivant d’un monde rural disparu, fait de labeur, d’attention au temps long, et de liens profonds entre une terre, une architecture, et ceux qui l’ont fait vivre.
Patience, recoupements et recherches approfondies dans les archives du Lot et de la Dordogne ont permis de faire émerger les contours de l’histoire de La Lauvie.
1574 : C’est à ce jour la plus ancienne mention connue de La Lauvie dans les archives. Le masage y est explicitement nommé dans un document lié à la paroisse de Lamothe-Massaut — aujourd’hui Lamothe-Fénelon.
Une gravure anciennement à l’extérieure, située au-dessus d’une porte entre le pigeonnier et le corps principal de la bâtisse, indique que le pigeonnier a été construit après la maison. On y lit l’année 1639, interprétée comme la date de construction ou d’achèvement de l’ensemble architectural formé par la demeure principale.


sabre montmorency scellé à l’entrée de la Chapelle



